» L’orage vient mordre la pierre ; après la brûlure de soleil. Comment ne pas se fier à l’alternance ? La branche de pin nous le murmure qui nous donne à la fois le goût du silence et la bruissante envolée d’espace»
P.A. Jourdan. La Langue des fumées
Marcher
Pierre et poussière du chemin,
homme désagrégé, homme comblé
tout entier dans cette image de son sang,
de son avenir de silence ;
lente et lourde pierre poussiéreuse
qui dévale le sang abrupt,
long cri se délivrant
de l’étouffant tableau de calme inaccessible
le corps soudain se connaît cible,
se fait violence
à portée de la masse obscure
qui l’étreint.
Caminar
Piedra y polvo del camino,
un hombre desintegrado, un hombre realizado
enteramente en esta imagen de su sangre,
de su futuro de silencio;
lenta y pesada piedra polvorienta
que desciende la sangre abrupta,
largo grito liberándose
del cuadro asfixiante de la calma inaccesible
el cuerpo de pronto se reconoce como blanco,
se violenta
a sí mismo al alcance de la masa oscura
que lo abraza.
Pensée fidèle
Elle a son nid plus loin
dans ce buisson de chêne vert
lointain feuillage couleur de lune
surplombant l’eau et c’est à peine
si l’image des pins déchiquetés, vivant
vient y faire courir quelque ride
Le jour se lève
non pas ce bruit rouillé
de la mort journalière
mais cette gloire silencieuse
ouvrant les nids
rien ne bouge
que quelques grains de lumière
roulant au bord d’une paupière
Déséquilibre
Longtemps les mots frappent à la porte
le chiendent ne veut pas céder
la route se perd qui se garde farouche
une pie longe le silence à travers champs
Là, comme une ombre
et le vent se ferait porteur
d’étranges nouvelles
heureux celui qui se contente de son pas
maudit celui qui les entend
Desequilibrio
Durante mucho tiempo las palabras llaman a la puerta
la hierba curandera no quiere ceder
se pierde la que se mantiene feroz
una urraca camina por el silencio a través de los campos
Allí, como una sombra
y el viento transporta
extrañas noticias
feliz el que se contenta con su paso
maldito el que las escucha
La grâce du pessimisme c’est de franchir toujours un
espace plus grand que son ombre.
Sur les bords veillent d’étranges silhouettes.
Une montagne défendant ses à-pics par la vertu de
quelques herbes. Le breuvage est destiné à l’innocent,
quelque part dans le temps qui baille en s’éveillant
avec le luisant de la faux sous ses semelles.
La gracia del pesimismo es siempre atravesar un
espacio mayor que su sombra.
En los bordes observa extrañas siluetas.
Una montaña que defiende sus cumbres en virtud de
unas pocas hierbas. El brebaje es para los inocentes,
en algún lugar del tiempo que bosteza al despertar
con el destello de la guadaña bajo sus suelas.
À la rencontre d’un pin
La parole chargée de guérir a dressé cette ruine
de quelques chardons bleus, de poussière et de vent ;
ce chemin où la mort, empoignée par tant de mots,
comme un figuier portant ses fruits dans un vieux mur
et l’embellie de lierre sur la porte fanée,
se referme sur le devenir joyeux,
le lointain, très lointain murmure
d’un pin amoureux.
Jourdan con René Char en Caromb (Foto Gilles Jourdan)
La fontaine
Le galop du cheval fait éclater les murs rongés de chaleur. Il retourne seul de la fontaine où son maître s’attarde.
Libres, de cette minime liberté qu’ils s’empressent d’oublier.
La terre à dominer pour qu’elle donne tout son sang aux vignes, c ‘est un travail où l’obstination s’est faite loi.
Le maître s’approche de son cheval, ensemble ils ne sont plus qu’un sillon sans chiendent.
La liberté est le chiendent.
Et la loi reste au vin plus fort que le vin, qui coule dans leurs sangs mêlés.
La crête
Il n ’y a plus de refuge
tout est dangereusement à vif
tiré jusqu’à l’usure
la lassitude s’ouvre aux raisons de feu
Avec cela faire son pain
à partager encore
avec l’innocence et les fous
refusant d’assigner sa place à la beauté
La Cresta
Ya no hay refugio
todo está peligrosamente crudo
tirado al desgaste la
lasitud se abre a razones de fuego
Con esto hacer pan
para compartir aún
con la inocencia y los locos
negarse a ceder su lugar a la belleza
P’ou-houa
Pour qui vient dans l’obscur, je sonne l’obscur, pour qui vient dans la clarté, je sonne la clarté; pour qui vient, hésitant, ne sachant pas nommer, je sonne de toutes mes forces, je sonne de ma sonnette fraternelle. Pour qui vient, sans nom, qui est Souffle, qui fait tarir la source, je sonne jusqu’à épuisement…
Les volets son maintenant fermés. Personne pour supporter la charge… quand bien même, on ne cloue pas la sonnette ! Elle sonne à travers les terres, elle s’entend encore à travers de profonds espaces de temps, et n’a cessé de sonner. Il suffit d’écouter.
J’irai ainsi, hors des murs, la bouche pleine de graviers. En attendant, je m’avance dans cet espace qui ne se connaît pas, qui ne me retient pas, me laisse libre mais de cette liberté que le moindre son de ma sonnette pétrifie. La cigale a cessé de chanter, le pin murmure encore. Suis-je pin ou cigale, compagnon ? Je n’entends que le bruit aigre de l’insuffisance. peut-être ne sonnes-tu pas assez fort ?
Le village enseveli
Le rideau que d’un doigt j’écarte. Cette vitre sur le jardin ensoleillé. Il suffira d’un instant pour que tout se fonde, brûle, s’entrouvre. Nous sommes liés à cet abîme.
Au pied du mur géant un village reçoit la force qui me fuit. Peut-être tremble-t-il certains soirs lorsque l’orage fertilise les pierres ? Qu’importe ! La beauté jaillit de telles blessures.
La route s’étrangle. Les fleurs grandissent sur les pentes.
Cette vipère, tête écrasée sur le sentier comme un nerf détestable, est le temps vaincu. Mais le pas, la marque victorieuse, le pas déjà lointain, inaudible, mais la rencontre ?
Frôlant mon dos brisé je devine cette forme altière, le souffle puissant de ce boulet qui trace l’avenir, sans égard, éblouissant.
Presque conquis par tant de hargne joyeuse. Innocent incendie pour réchauffer le cœur, brûlant les étapes, devant la route commune où nous nous enfonçons.
Óleo sobre tela, 1959 de P.-A. Jourdan
Fragments 1961-1976
Nommer cette joie serait l’égarer.
Le regard transcrit ; la main, elle, froisse les parfums.
Tu es l’arbre de cette absence, olivier, tu es l’amertume de son fruit.
Toi, où te loger ? C’est la guerre. Je te déclare la guerre. Je crois à la vertu de la provocation.
La flèche dans son trajet ne dénombre pas les blessures.
De petites gouttes de pluie, petites goutes espacées, cloches infimes qui invitent au repliement, qui disparaissent parce que la suite ne les concerne pas. (Si promptes, au passage, à effacer ce travail d’encre, si avides d’une autre lecture !)
Commence ta journée par raturer, par enlever toute lourdeur, commence avec ce cri rauque de la corneille, ce remue-ménage dans les pins. Supprime ce cri, ces ailes, cette large tache d’un vert sombre. Commence, c’est-a-dire examine ce suspect qui est là, assis sur une pierre, prêt à divaguer au soleil. Toi, ici, comme un reste d’orage et le lent travail d’éclairement, de réchauffement. Soupèse ce bagage, il est bien léger ! Tu pourrais presque prendre la route.
Tu es si bien accordé à cette terre, tu voudrais sacrer chaque brin d’herbe. Tu es accroupi là, avec. D’ou vient cet accord ? N’est-il pas mémoire ?
Ne m’écoutez pas, mais croyez à cette poussée qui vous ferait vagabond, croyez à cette démence.
Le monument à l’inutilité : l’enrichir chaque jour.
Je caresse un plant de thym. Hébétude de la parole hors son efficacité marchande. Apprendre à parler avec le corps, tâter le sol en aveugle. S’enfoncer. Je fais un stage d’herbe. J’apprends que les cris sont inutiles, que le puissant recul est nécessaire, qu’un autre oui y prend racine mais qu’il partage le monde sans pitié.
Fragmentos 1961-1976
Nombrar esta alegría sería perderla.
La mirada transcribe; la mano, en cambio, aja los perfumes.
Sos el árbol de la ausencia, olivo, sos la amargura de su fruto.
Y a vos ¿dónde albergarte? Es la guerra. Te declaro la guerra. Creo en la virtud de la provocación.
La flecha en su trayecto no enumera las heridas.
Unas gotitas de lluvia, gotitas espaciadas, campanas ínfimas que invitan al repliegue, que desaparecen porque lo que viene después no las atañe. (Tan dispuestas, al pasar, a borrar este trabajo de tinta, ¡tan ávidas de otra lectura!)
Empezá la jornada tachando, eliminando toda pesadumbre, empezá con el chillido metálico de la corneja, esa agitación en los pinos. Suprimí el grito, las alas y la mancha extensa de un verde oscuro. Empezá, es decir, examiná a ese sospechoso que está acá, sentado en una piedra, listo para divagar al sol. Vos, acá, como vestigio de la tormenta y el lento trabajo de esclarecimiento, de recalentamiento. Sopesá el equipaje, ¡es bien liviano! Casi podrías echar a andar.
Concordás tan bien con esta tierra que te gustaría consagrar cada brizna de hierba. Acá estás, en cuclillas, con. ¿De dónde viene este acuerdo? ¿Acaso no es memoria?
No me escuchen, pero crean en el impulso que los convertiría en vagabundos, crean en ese delirio.
El monumento a la inutilidad: enriquecerlo cada día.
Acaricio un plantín de tomillo. Estupor de la palabra fuera de su eficacia mercantil. Aprender a hablar con el cuerpo, tantear el piso a ciegas. Hundirse. Hago un curso de hierba. Aprendo que los gritos son inútiles, que la poderosa distancia es necesaria, que otro sí se enraíza pero divide el mundo sin piedad.
Traducción de Julia Azaretto
Paisaje de Caromb, óleo sobre tela, 1953 de P.-A. Jourdan
Jardin suspendu
Surgissent à nouveau de vieilles douleurs, tout est
en place. La porte s’ouvre sur des murmures de soleil,
ponctuation de crêtes. Le fauteuil n’est qu’un peu
de terre autour d’un tronc noirci. Puis vient l’apaisement,
le déferlement de l’espace.
Les degrés de la sagesse, ici, sont de pierres grises,
tachetées d’ombre, masquées d’herbes sèches, paroles
élémentaires. Une saison clémente se met en marche,
comment nommer ce fruit?
Un dessin de sol craquelé, lambeau de désert bordé
de mamelons de pierres comme s’entassent les siècles;
une soif grise. La montagne s’alanguit, domination
sereine qui s’éprend, semble-t-il, de lassitude
ourlée de cigales en touffes, repères de feu.
N’était-il pas question d’un fruit?
Le mal précieux de cette rose injurieuse.
Pierre-Albert Jourdan (Paris, Francia, 3 de febrero de 1924-13 de septiembre de 1981, Caromb, Francia). Poeta y ensayista.Tras haber sido conocida en un círculo restringido, la obra de este poeta secreto fue revelada tras su muerte, recogida en dos volúmenes por el poeta y escritor Yves Leclair en las ediciones Mercure de France .
Hijo único, fue un niño tímido e introvertido, y como muchos niños sin hermanos, pobló su soledad con compañeros imaginarios.
Estudió las carreras de ciencias políticas, de comercio y de derecho. Trabajó durante toda su vida profesional (1947-1981) ocupando el cargo de Jefe de servicio en la Sociedad Mutualista de Transportes Públicos. Empezó a escribir, a partir de 1956, apartado de los circuitos literarios.
Antes de empezar a escribir, y durante toda su vida, Jourdan dibujó, pintó y se interesó por la fotografía. Sus pinturas figurativas que representan paisajes del Ventoux, de Caromb, retratos de familiares, realizados a partir de 1949, y sus collages fotográficos de inspiración surrealista dieron lugar a dos exposiciones en la galería Jacob en París (VIe) en 1953 y en 1955. Después de 1954 dejó de exponer, pero siguió pintando, sobre todo pinturas abstractas en gran formato, y él mismo se encargó de ilustrar algunos de sus textos, por ejemplo los de La Langue des fumées que llevan una aguada original, o el poema “Gerbes” publicado con dos dibujos del poeta.
En 1961 publicó su primer libro de poemas La Langue des fumées (hay traducción en español inédita: La Lengua de las humaredas) –muy marcado por la influencia de René Char– que pasó absolutamente desapercibido, y continuó en silencio escribiendo una obra abundante y variada. Hasta 1973 ésta se compone principalmente de poemas inéditos durante su vida –excepto algunos que fueron publicados parcialmente en revistas– y reunidos, luego de variaciones complejas, en libros manuscritos: Le Chemin nu, Ce Torrent d’ombre.
En 1974 creó su propia revista Port-des-Singes. En los nueve números que publicó hasta su muerte, Jourdan reunió a amigos, poetas o pintores, y publicó fundamentalmente algunos extractos de sus libros de fragmentos en preparación.
La búsqueda espiritual a la que el poeta subordinaba su escritura, y que caracterizaba la voluntad de desaparición y de despojo del “yo”, lo condujo a abandonar progresivamente el poema, forma cerrada, en provecho de fragmentos poéticos y morales, cuyas entregas sucesivas publicadas durante el último decenio de su vida –prematuramente interrumpida por un cáncer de pulmón– constituyen sus obras maestras: Le Matin (1976), Fragments (1979), L’Angle mort (1980), L’Entrée dans le jardin (1981), Les Sandales de Paille (1982) cuya edición preparó pero no llegó a ver publicada, y por último L’Approche, póstumo.
Pierre-Albert Jourdan fue amigo de poetas prestigiosos, entre ellos Henri Michaux y René Char, al que conoció en 1957 y que permitió la publicación de su primer libro La Langue des fumées en 1961 por la editorial José Corti. Asi mismo fue amigo de Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Jacques Réda, Lorand Gaspar, que participaron en Port-des-Singes junto a otros poetas menos reconocidos y que a menudo le han rendido homenaje.
Sus escritos recopilados han sido publicados por Mercure de France en dos volúmenes: Les Sandales de paille (Las sandalias de paja, 1987) y Le Bonjour et l’adieu (Los buenos días y el adiós , 1991), respectivamente prologados por Yves Bonnefoy y Philippe Jaccottet. El trabajo de Jourdan, en las traducciones de John Taylor, ha aparecido en Antioch Review , American Letters & Commentary , Yale Review , Packingtown Review , The Bitter Oleander , Kestrel, Poetry Wales , FragLit , 1913: A Journal of Forms y Cerise Press .
Una de las últimas frases que escribió antes de morir :
«La puerta permanece cerrada pero el rayo de luz corta, como una espada».
Enlaces de interés :
http://pierrealbert.jourdan.free.fr/esppaj1.html
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